Emploi passe-temps pour les jeunes

Naomi Klein
No Logo p.357 (publié en 2000)

Le travail de (pour les) marques: des passe-temps plutôt que des emplois.

Bien qu’une catégorie de sociétés de biens de consommation ait transcendé le besoin de produire ce qu’elles vendent, les multinationales, même les plus légères, n’ont pu jusqu’à maintenant se libérer complètement du fardeau de la main d’oeuvre. Si le production est déléguée à des entrepreneurs, la vente de ces objets de marque nécessite des commis, surtout en pleine croissance du commerce au détail. Aussi, dans le secteur des services, les grandes marques cultivent l’art de passer outre la plupart des engagements courant dûs aux employés, prétendant que,  puisque leurs commis ne sont pas des travailleurs légitimes, ils n’ont pas vraiment besoin de sécurité de l’emploi, de salaires décents et d’avantages sociaux, ou ne les méritent pas.
— ( C’est moi qui souligne, c’est tellement typique du discours qu’on nous a servi, toujours officieusement toutefois)
La plupart des grands employeurs du secteur des services administrent leurs employés comme si leurs besoins de base, tels le loyer ou la charge d’un enfant, ne dépendaient pas de leur salaire. Les employeurs de la vente au détail ou des services ont plutôt tendance à considérer leurs employés comme des gamins: étudiants à la recherche d’un emploi d’été, d’argent de poche ou d’un moment de répit avant d’entreprendre une carrière plus épanouissante et plus lucrative.
—  Ou encore jeunes artistes en attente de la consécration et de la Gloire qui viennent immanquablement à point à qui sait attendre, comme tout le monde le sait 😉
Autrement dit, des emplois formidables pour des gens qui n’en ont pas réellement besoin. Ainsi, le centre commercial et le supermagasin ont donné naissance à une sous-catégorie d’emplois bidons en pleine expansion — le crétin qui prépare le yahourt glacé, celui qui presse des fruits chez Orange Julius, le préposé à l’accueil chez Gap, l’«associé aux ventes» chez Wal-Mart, toujours heureux grâce au Prozac, postes qui sont, c’est bien connu, instables, mal rémuréré et à temps incroyablement partiel. (Voir tableau 10.1, Appendice, page 717).
— Tiens, tiens… 🙂
Ce qu’il y a d’alarmant dans cette tendance, c’est qu’au cours des deux dernières décennies, l’importance relative du secteur des services en tant que générateur d’emplois a monté en flèche. Le déclin dans le secteur de la fabrication, ainsi que les vagues de licenciements dans le secteur public, ont engendré une croissance spectaculaire du nombre d’emplois de services, à tel point qu’aux États-Unis, les services et la vente au détail représentent maintenant 75 pour cent des emplois.(voir tableau 10.2, page 361.) Aujourd’hui il y a quatre fois plus d’américains pour vendre des vêtements dans des boutiques spécialisées et des grandes surfaces, que pour les coudre ou les tisser, et Wal-Mart est non seulement le plus grand détaillant du monde, mais aussi le premier employeur du secteur privé aux États-Unis.

Malgré ces changements, la plupart des chaînes de marques de vente au détail, de services et de restauration préfèrent porter des oeillères et répètent inlassablement que leurs emplois sont des passe-temps pour les jeunes.
— ( ! )
Peu importe que le secteur des services soit plein de travailleurs maintes fois diplômés, d’immigrants incapables de trouver des emplois dans le secteur de la fabrication, d’infirmières et d’enseignants mis à pied, et de cadres moyens victimes d’une réduction d’effectifs. Peu importe, également, que les étudiants qui ne travaillent pas dans le secteur de la vente au détail ou dans un fast-food – et il y en a beaucoup – écopent de frais de scolarité plus élevés, reçoivent peu d’aide financière de leurs parents et du gouvernement, et doivent rester scolarisés plus longtemps. Peu importe que, dans l’alimentation, la moyenne d’âge de la main-d’oeuvre soit en hausse constante depuis 10 ans, et que la moitié des travailleurs ait plus de 25 ans.(Voir tableau 10.3, Appendice page 717.) Ou qu’une étude ait révélé qu’en 1997 au Canada, seulement 25 pour cent des travailleurs de la vente au détail (cadres non compris) étaient au service de la même société depuis 11 ans ou plus, et que 39 pour cent avaient entre 4 et 10 ans d’ancienneté. C’est beaucoup plus long que le séjour d’Al Dunlap, surnommé «la tronçonneuse», à la direction de la société Sunbeam. Mais peu importe tout cela.
Chacun sait qu’un emploi dans le secteur des services est un passe-temps, et que la vente au détail est un secteur que les gens choisissent pour acquérir de l’expérience, et non pour gagner leur vie.
Ce message fait partie intégrante de la vie des caissières ou des vendeurs de plats à emporter, qui se sentent toujours de passage, même après une décennie de McJobs. Brenda Hillbrich, qui travaille pour la chaîne Borders books and music, à Manhattan, explique la difficulté de réconcilier la qualité de son travail avec un sentiment de réussite personnelle: « On est aux prises avec ce dilemme: “Je vaux mieux que cela même si je ne trouve pas d’autre emploi”. Alors on se dit: “C’est temporaire; je vais trouver quelque chose de mieux”.»
Cet état infériorisé d’itinérance perpétuelle a fait l’affaire des employeurs du secteur des services, leur permettant de geler des salaires et d’accorder peu de lattitude à la promotion — Ce n’est pas la peine d’améliorer les conditions de travail puisque ces emplois sont, aux yeux de chacun, temporaires. Jason Chappell, commis chez Borders, dit que les chaînes de vente au détail font des pieds et des mains pour renforcer ce sentiment d’initérance chez leurs travailleurs, afin de protéger cette formule très rentable. « La compagnie fait tellement de propagande pour nous convaincre qu’on n’est pas des travailleurs, qu’on fait autre chose, qu’on n’appartient pas à la classe ouvrière[…] Tout le monde s’imagine appartenir à la classe moyenne, même en gagnant 13000 dollars par année